Prise de parole – Hommage à Aboubakar Cissé
Nous sommes réunis ce soir, d’abord et avant tout, pour rendre hommage.
Hommage à Aboubakar Cissé, jeune homme d’une vingtaine d’années, méthodiquement assassiné au sein même de la mosquée Khadija, à La Grand-Combe, dans le Gard.
Au nom du groupe d’élus Gauche Écologiste et Populaire, j’adresse nos plus sincères condoléances à sa famille, à la communauté de la mosquée de La Grand-Combe, et à toutes les personnes profondément touchées par ce drame, ici comme ailleurs dans le pays.
Ce rassemblement est né de l’initiative des fidèles de la mosquée de Valence, qui ont jugé, en tant que citoyens et citoyennes, nécessaire de se réunir pour exprimer leur solidarité, leur douleur et leur colère.
Ils et elles ont choisi de le faire ici, devant le palais de justice, car c’est bien la justice qui est réclamée.
Justice pour Aboubakar Cissé. Justice pour toutes les victimes du racisme, de l’intolérance et de la haine.
À cet appel ont répondu de nombreux collectifs, des organisations, des personnalités. Notre présence ici ce soir, comme la vôtre, témoigne de l’urgence et de la légitimité de cette mobilisation.
Nous sommes ici pour dire notre peine, car pour la famille Cissé, il s’agit d’abord d’un drame intime : la perte d’un fils, d’un frère, d’un cousin.
Mais nous sommes aussi ici pour dire non. Non à ces crimes à caractère raciste. Non à l’impunité. Non à l’islamophobie qui gangrène notre société.
Car oui, il y a une injustice profonde dans cette affaire. Et elle s’inscrit dans une longue histoire de déni et de complaisance.
Depuis plus de vingt ans, institutions, médias et responsables politiques tergiversent sur les mots à employer pour qualifier le rejet systémique des musulmans et musulmanes de ce pays. Pourtant, les premiers concernés n’ont jamais cessé de le dire : c’est de l’islamophobie. Et l’islamophobie tue.
Mais ne nous arrêtons pas au débat sémantique.
Ce qui est en jeu, c’est un système. Un système de stigmatisation, construit et entretenu à tous les niveaux, des plateaux télévisés aux discours politiques, des décisions ministérielles jusqu’aux pratiques locales.
La réaction du ministre de l’Intérieur et des cultes, Bruno Retailleau, en est une illustration glaçante : il lui aura fallu deux jours pour se rendre à La Grand-Combe. Deux jours.
Et à ce jour, il n’a toujours pas pris le temps de rencontrer la famille Cissé. Ce mépris, cette distance, ce silence sont la manifestation concrète de ce que nous nommons : l’islamophobie institutionnelle.
Cette islamophobie a tué Aboubakar Cissé, en pleine prière, dans un lieu de recueillement.
Elle a tué Djamel Bendjaballah à Dunkerque l’été dernier, malgré les plaintes qu’il avait déposées.
Elle a tué bien d’autres encore, depuis des décennies. Le 1er mai, nous commémorerons la mort de Brahim Bouarram, assassiné et jeté dans la Seine par des militants d’extrême droite, le 1er mai 1995.
On nous reprochera de « politiser » ces crimes.
Mais ce n’est pas nous qui avons politisé la haine. Ce n’est pas nous qui avons fait du racisme un instrument de pouvoir.
Dès lors qu’un système est en cause, la lutte est politique.
Ce système se nourrit des polémiques médiatiques, des amalgames, des mots qui désignent les musulmans comme des ennemis de l’intérieur.
Il se nourrit des récupérations politiques, y compris au niveau local. Et à Valence, nous les connaissons bien :
– ceux qui s’affichent ouvertement islamophobes,
– ceux qui manient la peur à des fins électorales,
– et même ceux, parfois à gauche, qui ferment les yeux ou emboîtent le pas.
Nous, nous n’oublierons pas. Et nous ne resterons pas silencieux.
Comptez sur nous pour combattre leurs idées, leurs discours et leurs pratiques.
Pour Aboubakar, pour sa famille, pour la dignité de toutes celles et ceux qu’on veut faire taire ou invisibiliser.